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La maladresse médicale : pas de certitude, pas de présomption de faute du chirur

La maladresse médicale : pas de certitude, pas de présomption de faute du chirurgien !

L'article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du Code de la santé publique dispose que les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Après avoir été opéré d’une hernie discale C6C7 par un chirurgien exerçant son activité à titre libéral au sein d'une clinique privée, le patient présente une contusion médullaire et conserve des séquelles. Sur la base d'une expertise judiciaire ordonnée en référé, il assigne au fond le chirurgien en responsabilité et indemnisation avec mise en cause de la caisse primaire d’assurance maladie qui a demandé naturellement au praticien le remboursement de ses débours. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) est appelé dans la cause sur la base d'une seconde expertise ordonnée par le tribunal avant-dire droit.

Le tribunal de grande instance dit que la responsabilité du praticien est engagée et liquide le préjudice corporel du demandeur en lien avec le fait dommageable ainsi que les débours de la CPAM. Le premier juge fixe aussi en faveur de l’épouse du patient et de ses deux fils des indemnités en réparation de leur préjudice d’affection.

Sur recours du chirurgien, la cour d'appel confirme le jugement en ses dispositions relatives à la responsabilité du chirurgien, à l’indemnisation des souffrances endurées, des préjudices esthétiques temporaire et permanent de du patient, au rejet des prétentions de ce dernier inhérentes aux frais de déplacement, aux frais de véhicule adapté et aux préjudices d’agrément (temporaire et permanent), à l’indemnisation du préjudice d’affection des victimes indirectes, à l’indemnité de procédure due à M. Y, au calcul des intérêts légaux ainsi qu’aux dépens, en ce compris les frais d’expertises judiciaires. En revanche, elle l'infirme pour le surplus statuant nouveau. Pour retenir la responsabilité du praticien, la cour d'appel énonce que ce dernier « ne démontrait pas l'une des occurrences qui lui permettraient de renverser la présomption de faute pesant sur lui, soit l'existence d'une anomalie morphologique rendant l'atteinte inévitable ou la survenance d'un risque inhérent à l'intervention qui, ne pouvant être maîtrisé relèverait de l'aléa thérapeutique.» Elle ajoute « que la circonstance que l’un des experts ait évoqué plusieurs explications et causes possibles de cette contusion ne permet pas d’identifier ni d’expliciter de manière objective et certaine le risque inhérent à l’opération pratiquée, rendu non maîtrisable au point qu’il relèverait de l’aléa thérapeutique. » Dès lors, selon la cour d'appel lorsque le praticien est dans l’incapacité d’apporter la preuve que l’atteinte fut inévitable ou inhérente à l’acte pratiqué, il est forcément présumé responsable.

Sur pourvoi du praticien, aux visas des articles L. 1142-1, I, alinéa 1er, du Code de la santé publique et 1315 (ancien) du Code civil, dans un arrêt du 26 février 2020 (1), les juges du Quai de l'Horloge remettent les pendules à l'heure, rappelant tout d'abord que « dès lors que [les chirurgiens] sont tenus d'une obligation de moyens, la preuve d'une faute incombe, en principe, au demandeur. Cependant, l'atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas, est fautive en l'absence de preuve par celui-ci d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l'aléa thérapeutique. Mais l'application de cette présomption de faute implique qu'il soit tenu pour certain que l'atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical ».

Puis, ils cassent l'arrêt de la cour d'appel jugeant qu'en « statuant  ainsi, la cour d’appel, qui a présumé l’existence d’une faute, sans avoir préalablement constaté que le chirurgien avait lui-même, lors de l’accomplissement de son geste, causé la lésion, a inversé la charge de la preuve et méconnu les exigences du texte susvisé. »

En conclusion, pour le juge judiciaire la maladresse médicale n'est plus forcément fautive. C'est déjà la position du conseil d'État en pareille matière. Dès lors, pour retenir la présomption de responsabilité du chirurgien au visa de l'article L. 1142-1 I alinéa 1er du code de la santé publique, le juge judiciaire doit préalablement s'assurer que l'atteinte à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas a certainement été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical. C'est une question de preuve !

Compte tenu, notamment, de la complexité du corps humain et des interventions chirurgicales, l'établissement de ce lien certain entre le geste chirurgical et l'atteinte à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas ne sera véritablement pas aisé pour le patient. C'est en tout cas la prise en considération par les Juges  des deux Ordres juridictionnels du fait que la responsabilité civile professionnelle du chirurgien doit - enfin et surtout - être appréciée à l'aune de la complexité du corps humain et des techniques chirurgicales. Enfin, plus accessoirement, sur un plan déontologique si la maladresse médicale n'est plus forcément fautive, elle ne sera plus forcément poursuivie et réprimée.

Bernard BOULLOUD, Avocat au Barreau de Grenoble   

(1) https://www.doctrine.fr/d/CASS/2020/JURITEXT000041701632?q=Maladresse%20du%20chirurgien%20Cour%20de%20cassation&date_from=2020&position=1&query_key=8095308905d78ff9672da97d7213b7d5&original_query_key=8095308905d78ff9672da97d7213b7d5&source=excerpt_results